Synthèse :
On peut observer une tendance du Législateur à intervenir dans les relations contractuelles B2B dans le sens d’une protection de la partie supposée économiquement faible.
Ce fut le cas avec la loi du 19 décembre 2005 relative à l’information précontractuelle dans le cadre d’accords de partenariat commercial (devenue Tire 2 du Livre X du Code de droit économique) et plus récemment avec la loi du 4 avril 2019 relative aux abus de dépendance économique, clauses abusives et pratiques du marché déloyales entre entreprises.
La loi du 28 novembre 2021 complète la protection dans le secteur de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire. La loi insère dans le Code de droit économique des dispositions qui érigent en pratiques déloyales interdites certaines pratiques entre entreprises de ce secteur.
La loi du 28 novembre 2021 transposant la directive (UE) 2019/633 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur les pratiques commerciales déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire a été publiée au Moniteur du 15 décembre.
Elle est entrée en vigueur le 25 décembre 2021.
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Quel est le champ d’application de la loi ?- Définitions
Cette loi s’applique aux relations, au sein de la chaîne d’approvisionnement des produits agricoles et alimentaires, entre d’une part les acheteurs et d’autre part les fournisseurs dont le chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas 350 000 000 € (le plafond ne s’applique pas aux coopératives agricoles).
La loi a un champ d’application spécifique mais concerne un nombre important d’acteurs économiques puisque la chaîne d’approvisionnement des produits agricoles et alimentaires couvre le secteur agricole, l’industrie agroalimentaire et le secteur de la distribution.
Les contrats des entreprises de ce secteur devront être conformes non seulement à cette nouvelle loi, mais également à la loi du 4 avril 2019 sur l’abus de dépendance économique, les pratiques déloyales et les clauses abusives dans le secteur B2B et qui s’applique à toutes les entreprises, quel que soit leur secteur d’activité.
Le but de la loi est de protéger les petits acteurs de la chaîne d’approvisionnement et s’applique aux ventes pour lesquelles soit le fournisseur, soit l’acheteur, ou les deux, sont établis en Belgique.
Les acheteurs sont définis comme « toute personne physique ou morale, indépendamment du lieu d’établissement de cette personne, ou toute autorité publique dans l’Union, qui achète des produits agricoles et alimentaires; le terme “acheteur” peut englober un groupe de personnes physiques ou morales appartenant à cette catégorie, y compris les autorités publiques » (art. I.8/1 2° du Code de droit économique – CDE).
Les fournisseurs sont « tout producteur agricole ou toute personne physique ou morale, indépendamment de son lieu d’établissement, qui vend des produits agricoles et alimentaires; le terme “fournisseur” peut englober un groupe de producteurs agricoles ou de personnes physiques et morales appartenant à cette catégorie, tel que des organisations de producteurs, des organisations de fournisseurs et des associations de ces organisations. » (art. I.8/1 1° CDE).
Par produits agricoles et alimentaires la loi vise « les produits énumérés à l’annexe I du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ainsi que les produits ne figurant pas dans ladite annexe, mais qui sont transformés en vue d’être utilisés dans l’alimentation en recourant à des produits énumérés dans ladite annexe ». (art. I.8/1 1° CDE)
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Que prévoit la loi ?
Elle complète le Titre 4, Chapitre 2 (Pratiques du marché déloyales entre entreprises) du Livre VI du CDE par une section 4 consacrée aux pratiques du marché déloyales dans les relations interentreprises au sein de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire. Il s’agit des articles VI.109/4 à 109/8.
A l’instar du droit de la concurrence ou de la loi sur les clauses abusives dans le secteur B2B, la nouvelles loi distingue une liste de pratiques dites « noires » et une autre de pratiques dites « grises ».
2.1. Les pratiques de la liste « noire »
L’article VI.109/5 CDE énonce une liste de 9 pratiques « noires » qui sont considérées comme déloyales et interdites. Il s’agit de :
1° Le paiement par l’acheteur plus de 30 jours après la livraison ou l’établissement du montant à payer.
Des exceptions à l’application de cette règle sont prévues pour des cas particuliers.
2° L’annulation, par l’acheteur, des commandes de produits à brève échéance qui ne permet raisonnablement pas au fournisseur de trouver une autre solution pour commercialiser ou utiliser ses produits. Un délai inférieur à trente jours est toujours considéré comme une brève échéance.
3° La modification unilatérale par l’acheteur des conditions d’un accord de fourniture relativement à la fréquence, la méthode, le lieu, le calendrier ou le volume des approvisionnements ou des livraisons, les normes de qualité, les conditions de paiement ou les prix.
4° Le fait d’imposer aux fournisseurs des paiements sans lien avec la vente de produits agricoles et alimentaires.
5° Le fait de mettre à charge du fournisseur la détérioration ou la perte de produits qui ne sont pas imputables à une négligence ou une faute du fournisseur.
6° L’acheteur refuse, alors que cela est demandé par le fournisseur, de confirmer par écrit les conditions d’un accord de fourniture.
7° L’acheteur obtient, utilise ou divulgue de façon illicite des secrets d’affaires du fournisseur au sens de la loi du
30 juillet 2018 relative à la protection des secrets d’affaires.
8° Menacer le fournisseur de, ou procéder à, des actions de représailles commerciales si le fournisseur exerce ses droits contractuels ou légaux.
9° Demander une compensation au fournisseur pour le coût de l’examen des plaintes des clients nonobstant l’absence de négligence ou de faute du le chef du fournisseur.
2.2. Les pratiques de la liste « grise »
D’autre part, la loi introduite dans le CDE (article VI.105/6) une liste de 6 pratiques « grises » qui sont présumées déloyales à moins qu’elles n’aient été préalablement convenues en termes clairs et dépourvus d’ambiguïté dans l’accord de fourniture ou dans tout accord ultérieur entre le fournisseur et l’acheteur.
Ces pratiques sont :
1° le renvoi par l’acheteur des produits invendus au fournisseur sans payer pour ces invendus.
2° l’acheteur exige du fournisseur qu’il paie pour que ses produits soient stockés, exposés ou référencés ou mis à disposition sur le marché.
3° l’acheteur demande au fournisseur de supporter tout ou partie des coûts liés aux remises dans le cadre d’actions promotionnelles à l’initiative de l’acheteur sauf si, avant une action de promotion, l’acheteur précise sa durée et la quantité de produits qu’il prévoit de commander à prix réduit. L’acheteur doit aussi fournir préalablement à chaque action promotionnelle une estimation écrite du montant à payer par le fournisseur et/ou des éléments sur lesquels cette estimation est basée et le fournisseur doit donner son accord exprès sur ces coûts. A défaut, le fournisseur n’est pas tenu de supporter ces coûts.
4° l’acheteur demande au fournisseur qu’il paie pour la publicité faite par l’acheteur pour les produits.
5° la demande faite au fournisseur de payer pour la commercialisation des produits.
6° l’acheteur fait payer par le fournisseur le personnel chargé d’aménager les locaux utilisés pour la vente des produits de ce fournisseur.
Lorsque ces pratiques sont convenues préalablement dans l’accord le législateur prévoit une condition supplémentaire: lorsqu’il demande un paiement dans les situations visées à l’alinéa 1er, 2°, 3°, 4°, 5° et 6°, l’acheteur doit présenter par écrit au fournisseur une estimation des paiements par unité ou des paiements globaux, selon le cas, et, en ce qui concerne les situations visées à l’alinéa 1er, 2°, 4°, 5°, ou 6°, il présente également par écrit une estimation des coûts au fournisseur, et les éléments sur lesquels se fonde cette estimation.
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Quelles sont les conséquences en cas de pratiques déloyales ?
3.1. Nullités des clauses contractuelles.
Les pratiques déloyales sont interdites.
La loi frappe de nullité les clauses contractuelles qui ont pour objet des pratiques déloyales mais le contrat reste contraignant pour autant qu’il puisse subsister sans la/les clause(s) contractuelle(s) interdite(s) (art 109/8 CDE).
En ce qui concerne les pratiques « grises » elles ne seront pas considérées comme déloyales à condition qu’elles soient préalablement convenues en termes clairs et dépourvus d’ambiguïté dans le contrat.
Il faut ici souligner l’approche différente du législateur en ce qui concerne les pratiques grises par rapport aux clauses grises de la loi de 2019 sur les clauses abusives et qui requièrent une attention particulière lors de la rédaction des contrats.
La pratique grise ne sera pas considérée comme déloyale et sera donc admise si elle a fait l’objet d’une clause du contrat rédigée en termes clairs et dépourvus d’ambiguïté. En ce qui concerne la clause abusive grise, elle sera présumée abusive (même s’elle est rédigée en termes clairs et dépourvus d’ambiguïté) et il conviendra pour renverser cette présomption de démontrer qu’elle ne crée pas un déséquilibre (par exemple justifiant la clause et en explicitant dans le contrat même les raisons pour lesquelles elle ne crée pas de déséquilibre manifeste au détriment de l’une des parties) .
3.2. Plaintes
Des plaintes peuvent être déposées auprès des agents de l’Inspection économique du SPF Économie. En cas de nécessité, l’identité du plaignant pourra rester confidentielle.
Les infractions à la loi peuvent donner lieu à des avertissements ou des amendes administratives qui peuvent s’accompagner d’une mesure de publicité nominative ce qui peut avoir un effet dissuasif sur les acheteurs indélicats dont l’identité est ainsi révélée sur le site web du Service public fédéral Economie.
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Entrée en vigueur
La loi est entrée en vigueur le 25 décembre 2021.
Si la loi sur les clauses abusives dans le secteur B2B prévoyait qu’elle ne s’appliquait qu’aux contrats conclus après son entrée en vigueur, la présente loi s’applique aux contrats en cours à la date de la publication (soit le 15 décembre 2021), les parties disposant toutefois d’un délai de 12 moins à dater de cette publication pour adapter les contrats.
Les acteurs de de la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire devront en conséquence vérifier leurs contrats et de les adapter à la lumière des nouvelles dispositions du CDE.
D.E.S. en droit européen