Il y a des avancées qui sont telles qu’elles amènent à questionner la capacité du droit actuel à les appréhender.
L’innovation technologique des crypto-actifs fait très clairement partie de ces avancées. Cela ne signifie toutefois pas qu’un nouveau corps de règles doive être créé de toutes pièces.
Certes, il faut de nouvelles normes et quelques adaptations législatives pour encadrer ces phénomènes nouveaux, mais pour une grande partie d’entre eux, seul un effort de qualification est requis pour que l’innovation puisse tomber dans le champ d’application exact des lois en vigueur.
L’objet de la présente contribution n’est pas de rappeler en long et en large les règles de TVA, ni de reprendre de manière exhaustive toutes les subtilités liées aux crypto-actifs. Celle-ci ne s’attarde que sur le recentrage de la réflexion, à partir notamment de la réponse du Ministre belge des Finances à une question parlementaire sur le sujet.
La récente réponse du ministre belge Vincent Van Peteghem sur le traitement TVA « des opérations NFT » se résume comme suit :
« En ce qui concerne les NFT, [il semble qu’ils soient considérés] comme une pièce de collection numérique ou un objet d’art numérique (…). [M]on administration est d’avis que le commerce des NFT doit être considéré comme une prestation soumise à la TVA (…).
En ce qui concerne le lieu de la prestation du service consistant à vendre des NFT par voie électronique, je me réfère à l’article 7, paragraphe 2, point a), du règlement d’exécution 282/2011, qui [dispose] que la fourniture de produits numériques en général doit être considérée comme un service fourni par voie électronique. Par conséquent, les dispositions de l’article 21, paragraphe 2, et de l’article 21bis, paragraphe 2, point 9, du code de la TVA sont applicables pour déterminer le lieu de la prestation du service consistant en la vente de NFT.
Dans la mesure où la vente des NFT est réputée avoir lieu en Belgique, le taux normal de TVA de 21% s’applique dès lors qu’ils ne sont pas considérés comme des objets d’art au sens de la section XXI du tableau A, de l’annexe de l’arrêté royal n°20 fixant le taux de la taxe sur la valeur ajoutée. »
Cette réponse est empreinte d’une erreur de qualification qui entraîne une application erronée des règles de TVA. Elle témoigne d’un problème de compréhension des concepts et démontre surtout le besoin prégnant de clarté sur ces questions.
Définition d’un NFT
Un NFT[1] est un certificat d’authentification ou, pour faire simple, un titre de propriété. Le certificat d’authentification sous la forme de NFT est enregistré et conservé sur une technologie de registre distribué (distributed ledger technology ou DLT), appelée blockchain ou chaines de blocs[2].
À ce jour, les NFT peuvent authentifier toutes sortes d’opérations, qu’elles soient relatives à des œuvres numériques, de l’immobilier, de la musique, une billetterie, une montre, des jeux-vidéos, etc.
C’est à ce stade que l’on peut observer la confusion du Ministre des Finances.
D’une part, le NFT n’est qu’un contenant, à distinguer de son contenu, et d’autre part le NFT ne porte pas que sur des œuvres numériques.
Il en découle logiquement qu’un NFT en tant que tel ne peut pas être soumis à la TVA[3]. En revanche, son contenu peut éventuellement l’être, s’il s’agit d’une opération soumise à la TVA.
L’application des règles de TVA aux NFT
Une fois la définition des NFT clarifiée, venons-en à l’application élémentaire des règles en matière de TVA.
Seuls les assujettis devront éventuellement soumettre la vente de leur NFT à la TVA. Les non-assujettis, à savoir la plupart des investisseurs occasionnels, n’auront pas à se préoccuper de la TVA, sauf si l’exercice de leur activité dans les NFT est de nature à les faire tomber dans l’assujettissement.
Le sous-jacent du NFT va déterminer la règle de localisation applicable et, en fonction, ce seront les principes généraux ou les règles particulières qui s’appliqueront.
Par exemple, le taux réduit de 6 % est applicable à tout ticket de concert. On estime que cela s’appliquera donc aussi aux tickets de concert vendu comme un NFT. Toutefois, on peut regretter que le Ministre belge ait rejeté l’application du taux réduit, relatif aux œuvres d’art (physiques) pour les œuvres numériques en ce qu’elles ne revêtissent pas la qualité d’objet d’art au sens de l’arrêté royal n° 20 fixant les taux de la taxe sur la valeur ajoutée.
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Les difficultés pratiques
On peut en l’espèce épingler deux problématiques flagrantes.
Dans un premier temps, l’anonymat rendu possible par la blockchain largement exploité par les utilisateurs complique sévèrement l’application des règles. Sur les marketplaces, on peut contracter avec un vendeur ou un acheteur dont on ne connait ni la qualité (consommateur ou professionnel), ni la localisation, ce qui rend fatalement impossible l’application des règles et la correcte perception de la TVA.
Pour un exemple pratique, les règles particulières de vente à distance sont difficilement applicables dans la mesure où le vendeur transfrontalier aura beaucoup de difficultés à identifier ses acheteurs et leur localisation. Il y a fort à parier que le seuil du chiffre d’affaires réalisé dans un autre Etat membre soit dépassé sans même que le vendeur ne s’en rende compte[4].
Aussi, les apparences peuvent s’avérer trompeuses. On entend souvent parler des investissements immobiliers facilités par la technologie blockchain. On vous propose de devenir propriétaire d’un immeuble via un NFT. À ma connaissance, il n’existe aucun projet vous permettant de devenir véritablement propriétaire de l’immeuble. Tout au plus le sous-jacent du NFT est un droit sur la société qui détient l’immeuble. Il faut donc avoir conscience de l’opération exacte, de ses conséquences et implications. En l’occurrence, dans le secteur immobilier, l’acte de vente qui passerait par la blockchain ne se verrait pas dispenser de respecter le formalisme de l’acte authentique ! L’acquisition de la propriété n’est donc pas encore tout à fait facilitée, en tout cas en Belgique.
Conclusion
L’application de la législation n’est pas une révolution, en ce sens qu’une qualification exacte, pertinente et plus adaptée des NFT permet de mieux se situer en matière de TVA.
Il n’en demeure pas moins que la législation TVA est mise à l’épreuve par cette nouvelle technologie. En l’état actuel des choses, force est de constater que la perception de la TVA est compromise et que des ajustements et précisions de la législation seraient plus que bienvenus.
On ne peut donc qu’espérer que le Ministre des Finances revoit son analyse TVA….
Il s’agira alors de trouver le bon compromis entre conserver tout ce qui fait l’intérêt des NFT et la bonne application du droit.
[1] Non-fungible token ou jeton non fongible.
[2] À titre de comparaison, c’est l’équivalent de notre Administration générale de la Documentation Patrimoniale dans le monde numérique.
[3] À titre d’exemple, en cas de vente, ce n’est pas la convention entre parties (contenant) qui rend les règles de TVA applicables mais bien la vente en elle-même (contenu).
[4] À titre d’exemple, un assujetti qui vend à distance à des consommateurs au Luxembourg devra s’identifier à la TVA au Luxembourg dès lors que son chiffre d’affaires dépasse 100.000 EUR sur le territoire luxembourgeois.